S’exposer dans l’espace suburbain

Regards croisés entre différents acteurs

Vous vous demandez certainement pour quelle raison « les 3 bosses » s’appellent ainsi ?

“Les 3 bosses” est un espace qui se situe à l’école primaire du Pré-du-Camp dans la commune de Plan-les-Ouates. Cet espace se trouve à proximité du centre de rencontre et de loisirs appelé le “Locados”, du local “B2P” des travailleurs et travailleuses sociaux hors murs (TSHM) et divers commerces. La commune a fait le choix d’opter pour la conception d’une école ouverte, sans barrière de sécurité, ce qui permet un accès libre.

Ce sont les jeunes qui l’ont surnommé de cette manière, car dans un espace du préau de l’école, nous pouvons voir l’existence de trois bosses, accessibles à tous en dehors des heures scolaires.

Il y a cependant un conflit d’usage, ce lieu étant l’endroit où plusieurs jeunes de la commune se réunissent en soirée et où certaines fêtes ont lieu. Cette exposition provoque une réaction sociale, notamment du concierge de l’école et le service environnement et espaces verts (SEE) qui ramassent les déchets laissés par les jeunes. La directrice et les enseignants utilisent ce préau autrement avec les enfants de l’école. Les TSHM font des tournées dans ce lieu afin de voir si tout va bien avec les jeunes et s’ils ont besoin de quoique ce soit et les agents de police municipale (APM) interviennent s’il y a un souci quelconque.

Tous les acteurs qui sont amenés à se côtoyer sur ce lieu ont différentes représentations sur les 3 bosses :

« Le préau, c’est un lieu de vie partagé. La cohabitation, c’est la vie, mais toujours dans le respect des lieux. Respecter le centre d’intérêt de chacun. »

La directrice de l’école

« Les 3 bosses en vrai c’est un espace où on est tout le temps là-bas, tu vois ? En fait on fait tout, ça peut jouer au foot, comme ça peut juste être posé et écouter de la musique. C’est notre espace quoi. On fait tout là-bas. »

Alice, une jeune

« C’est où les jeunes peuvent se rassembler on va dire » 

Agent de police municipale (APM)

« C’est ou les jeunes vont trainer. Parce que s’il pleut tu vas te mettre où ? A l’abri. »

Un travailleur du SEE

Conflit d’usage autour des 3 bosses

Les jeunes s’exposent dans l’espace public ce qui par conséquent crée une réaction sociale de la part d’autres acteurs. Cette réaction sociale crée une intervention de plusieurs acteurs au sein des trois bosses. Les jeunes fréquentent souvent le Locados. C’est une maison de quartier dans laquelle ils peuvent avoir des loisirs et être écoutés et accompagnés par l’équipe d’animation. Cependant, ils savent qu’ils n’ont pas le droit de fumer des joints ou bien de boire de l’alcool en face de cet établissement. C’est pour cette raison qu’ils vont le faire aux trois bosses. Ce lieu permet aux jeunes de ne pas être loin du Locados, c’est un lieu stratégique. Il leur permet d’être proches de la place des aviateurs, et du bureau des TSHM. Ils sont à couvert et peuvent consommer sans se faire voir par les autres habitants.

Réaction sociale

Pour la directrice de l’école, comme cité auparavant, c’est un lieu de vie partagée. Selon elle, maintenant c’est beaucoup plus propre et respecté qu’autrefois et elle trouve qu’il n’y a pas directement d’inconvénient, mais qu’il est important de mettre en avant la sécurité des élèves.

Pour l’APM, tout a changé à partir du moment où il y a eu une loi qui a été mise en place pour la consommation d’alcool dans le périmètre de l’école : « il n’y avait pas de loi qui disait qu’on devait les évacuer. Maintenant il y a justement une loi qui a été mise en place suite à tout ça. Qui est de, tout ce qui est consommation d’alcool dans le périmètre de l’école, c’est interdit. Donc la plupart du temps, ils ont toujours une bière à la main. Donc ils ne peuvent pas se rassembler. Pendant les heures scolaires, c’est interdit de rester dans le préau de l’école, mais après les heures scolaires c’est vrai que s’ils ne consomment pas d’alcool, c’est la voie publique. Ils peuvent y rester s’ils respectent les lieux. ». Les APM ont le devoir de demander aux jeunes de partir s’ils consomment de l’alcool au sein du périmètre de l’école. Les jeunes doivent en outre, trouver un autre endroit pour le faire.

Le travailleur du SEE pense qu’il serait une bonne idée que la commune mette un lieu à disposition pour que les jeunes puissent traîner, se cacher, sans déranger quiconque. Selon lui, l’un des inconvénients des jeunes trainant aux 3 bosses : « c’est les mégots de clopes, déjà. Y’a des bouteilles aussi d’alcool qui trainent. »

Et pourquoi pas mettre en place un endroit à couvert où ils pourraient consommer de l’alcool, sous l’œil bienveillant d’un travailleur social ? Soyons pragmatiques, les jeunes fumerons et boirons de toute manière. Mais ce n’est pas tout ! Après une soirée arrosée, certain.e.s laissent malencontreusement parfois des éclats de bouteilles vides par terre et des mégots de cigarettes dans le préau de l’école et cela peut être dangereux pour les enfants qui viennent jouer.

Qu’en disent les jeunes ?

Alice pense que c’est très rare les soucis, elle nous explique que la directrice et les enseignant.es ne lui disent rien si les jeunes respectent le lieu et les autres usagers, notamment les enfants :

« (…) souvent quand on se pose aux 3 bosses, justement Caroline* (nom d’emprunt), c’est celle qui a la classe en face (…) tant qu’il n‘y a pas ses élèves dans la classe ça va (…) la directrice, je l’aime beaucoup dans le sens où elle a toujours été super gentille, super agréable, je n’ai jamais eu de conflit. »

Alice

Cependant, selon la jeune, le souci le plus fréquent est le fait de fumer des joints : « Pleins de fois, sérieux, des amendes et tout parce qu’on fume et qu’on ne cache pas forcément quand ils arrivent. Après pour l’alcool ce n’est jamais arrivé qu’on ait des soucis ». Elle nous raconte également que les agents du GPA sont intervenus plusieurs fois quand « la musique (…) quand on met trop fort, ils viennent nous dire quand ils font les rondes des écoles ». Puis quand on lui demande par rapport aux plaintes de déchets, elles nous dit « Juste une fois, les TSHM, ils nous ont dit quelque chose par rapport aux déchets ».

Malgré ces petits conflits d’usage, la paix règne sur Plan-les-Ouates et les trois bosses. Un exemple de bonne cohésion sociale. Après nos entretiens, tous disent tenir une bonne relation entre eux. Alors selon vous, quelle est la recette d’un bon équilibre au sein d’une ville ?


Le bon équilibre à Plan-les-Ouates

Selon nous, la recette pour le bon équilibre à Plan-les-Ouates, est grâce à une forme de bienveillance et de tolérance à l’égard des jeunes. Les acteurs comprennent leur situation, car ils ont eux-mêmes été jeunes. De plus, PLO est une ville qui se voit encore comme un village, ce qui amène les acteurs à entretenir des relations que nous ne voyons pas forcément dans d’autres communes.

Tolérance grâce à la résonance

Nous pouvons affirmer que la jeunesse est une transition vers l’autonomie. Nous allons particulièrement nous intéresser à ce que peut représenter un lieu fréquenté pendant l’enfance de certains acteurs et les résonnances qui peuvent s‘en dégager.

Laissant place à la parole de chaque acteur, nous constatons que les 3 bosses reflètent une partie de leur enfance qui fait émerger des résonances chez chaque protagoniste. 

Commençons par la parole de la jeune Alice :

« Il y a eu d’autres lieux. En fait, on a toujours plusieurs lieux, mais les 3 bosses c’est depuis toujours. Moi ça fait maintenant… 11 ans… 10 ans que je fréquente les 3 bosses. Donc après j’étais aussi à l’école primaire ici, du coup j’étais là-bas dans la même école, dans le préau. »

En effet, les 3 bosses représentent un lieu de rencontre où elle se réunit avec ses amis. Elle affirme entretenir de bonnes relations avec les enseignants-es de cette école primaire ainsi qu’avec la directrice. 

Concernant la directrice de l’école, elle rejoint l’avis d’Alice. Elle dit connaître certains jeunes, puisqu’ils ont fréquenté son école primaire et elle avait déjà établi une relation de respect avec ceux-ci.

Partageons les dires de l’APM qui est tout aussi impliqué et intéressé à la collaboration avec les jeunes de Plan-les-Ouates. Il s’appuie sur ses expériences personnelles : 

« Etant déjà peut-être aussi jeune (…) je pense qu’ils n’ont pas forcément le lieu pour y aller, sinon je pense que ces jeunes seraient déjà à l’intérieur ».

La résonnance fait sens sous forme d’empathie et de compréhension envers les jeunes.  

Le travailleur du SEE aborde :

« Les souvenirs d’école et aussi les soirées avec les amis là-bas. Parce que du quartier on se connait tous, du coup on a fait beaucoup de soirées aux trois bosses ou à la piscine ».

Le travailleur du SEE a grandi dans ce quartier, il a traîné dans la cour de l’école et maintenant il travaille au service de la commune. Au fil des années, son regard croisé entre la jeunesse et sa profession actuelle, lui permet une meilleure compréhension des jeunes, mais également des travailleurs.   

Nous pouvons faire un dernier parallèle avec Julie Deville [1]Deville, J. (2008) « Investir de nouveaux territoires à l’adolescence », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°4 (En ligne) p. 1-13 qui aborde la notion d’investissement « de nouveaux territoires à l’adolescence ». Selon l’auteure, certains lieux que les jeunes ont investis influencent leur rapport au quartier. Ces lieux ont un rôle dans la socialisation des jeunes. Les jeunes investissent ces territoires à travers leurs usages de l’espace et à travers leurs discours. Ces lieux peuvent être un élément constitutif de leur identité. Concernant l’école, elle la présente comme étant un lieu de référence pour les jeunes. Ce lieu peut favoriser un sentiment d’identité commune et un statut privilégié aux élèves ayant fréquenté l’école en question.

Même si l’auteure parle d’être à l’école au sens propre, nous avons trouvé cette citation très intéressante. En effet, il dit que « l’école fréquentée est un lieu de référence ». Nous pensons donc que c’est l’une des raisons qui les poussent à y retourner pour y rester. En effet, différents acteurs nous décrivent cette école comme un lieu de référence pour eux, c’est le lieu qui a une certaine valeur à leurs yeux.

Selon un autre auteur, Gilles Henry [2]Henry, G. (2008). « Micro lieux » appropriés sur le territoire du cercle familial », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°4, p. 1-24, les 3 bosses peuvent être considérées comme un « micro-lieu », car il représente pour ceux qui l’occupe un lieu d’expérience et ils partagent un sentiment d’appartenance au même groupe d’amis. Ce micro-lieu peut contribuer à ce que les occupants partagent également des moments de convivialités.


La ville se voit encore comme un village

Plan-les-Ouates est une commune qui était autrefois rurale, mais elle s’est vite transformée en ville. Elle comprend une mixité sociale, économique et culturelle à l’intérieur même de ce territoire, mais elle se pense encore village. En d’autres termes, Plan-les-Ouates est un village, car il existe une culture de parole dans lequel ils traitent leurs soucis entre eux. Il existe une appartenance à la même communauté ce qui engendre une proximité sociale. Cette proximité crée une réaction chez les habitants qui les poussent à discuter et à collaborer.

Alice a pu constater cette différence entre le « village » de Plan-les-Ouates et le centre-ville, ainsi que d’autres acteurs :

« En fait ce quartier est tellement familial que tu te retrouves voisin avec tes profs. C’est pas comme d’autres quartiers, parce que là je peux voir aux Eaux-Vives là où j’habite, je vois des potes à moi, c’est pas du tout familial, fin… Ici c’est tout, tout regroupé. »

Alice

« C’est ça. Comme vous dites c’est un village, et du coup ça s’est passé un peu en ville et du coup les gens ont un peu de la peine à accepter (…) Ça reste très village avec un petit peu d’évolution (…) Après, peut-être en ville vu qu’ils ont toujours cette habitude d’avoir les bars et boîte et tout ça. (…) Ils vont quand même se réunir en ville et chez nous à PLO c’est toujours assez vide. »

Agent de police municipale

« Plan-les-Ouates fonctionne comme un village. Tout le monde se connaît là-bas. Il n’y a cependant pas grand-chose à faire après l’école. »

Travailleur du SEE

Selon Guillaume, coordinateur de l’équipe TSHM, PLO est une ville qui a de la peine à se voir comme telle. Elle se sent encore village. Quand les citoyens de Plan-les-Ouates ont un problème, ils contactent directement le maire.

Malgré que Plan-les-Ouates soit considéré comme ville à part entière, elle démontre toujours des spécificités propres à un village.


La collaboration entre les acteurs

Au vu du conflit d’usage des 3 bosses et de la commune de Plan-les-Ouates qui se pense encore village, nous avons pu constater que la collaboration entre les différents acteurs est importante.

Les jeunes ont fait de ce lieu le « repaire » de PLO. Les APM patrouillent et veillent à faire respecter l’ordre et la sécurité. Les travailleurs sociaux tournent dans le secteur et aident les jeunes dans diverses tâches. Les employés de l’école comme la directrice scolaire, les enseignants et le service de conciergerie qui y travaillent tous les jours. Le travailleur du SEE passe une fois par semaine pour l’entretien du territoire et le ramassage des déchets.

La collaboration entre ces différents acteurs varie selon les enjeux et les problématiques. Tous ne sont pas amenés à collaborer, certains se rencontrent quotidiennement et d’autres de façon moins formelle :

Les travailleurs sociaux collaborent avec les APM et la directrice de l’école lors des réunions qu’il y a tous les 2 mois (CICO). Mais également lorsqu’ils se croisent, s’il y a des informations à échanger.

« Par exemple, on fait une séance, une fois par mois plus au moins, tous les deux mois. Pour échanger des informations sur les jeunes sur le terrain. Il y a des TSHM de la commune. On échange, ciblé sur les jeunes ou ce qu’il se passe dans la commune sans donner de nom . »

Agent de police municipale

Cependant, entre le SEE et les travailleurs sociaux, il n’y a pas de collaboration directe. Les TSHM avaient le contact d’un travailleur du SEE, parce que c’est un ancien jeune du Locados. Néanmoins, ils ont désormais une relation professionnelle due à la nouvelle fonction du jeune du SEE.

La relation entre les TSHM et les jeunes semble être solide :

« Non, franchement c’est des gens sur qui on peut compter(..) justement quand j’avais des problèmes avec les amendes, ils me trouvaient des petits jobs »

Alice

On constate que ces acteurs de la vie communale de PLO ne sont pas tous du même domaine de travail, ce qui n’empêche pas qu’ils travaillent en réseau :

Selon Joëlle Libois [3]Libois, J. & Loser, F. (2010). Travailler en réseau : Analyse de l’activité en partenariat dans les domaines du social, de la santé et de la petite enfance. Genève : Éditions IES, … Continue reading, l’intervention de réseaux « est une façon de penser et de faire le travail social social – qu’il s’agisse de politique ou à proprement parlé de social », le but étant une vision globale des problèmes sociétaux et relationnels afin de pouvoir les résoudre à travers le travail en réseau, la collectivité et la création de nouvelles relations. Selon nous, il est important de travailler en réseau et nous avons pu observer ce travail à PLO. Cette manière de collaborer et de travailler permet une vision globale des problématiques liées aux jeunes de PLO. En mettant en avant le point de vue de chaque acteur, il est ainsi possible pour eux de trouver une solution adéquate face aux enjeux de la jeunesse.


Réalisation

Micaela Alves (HETS)

Céline Gomes Henriques (HETS)

Freskim Lubishtani (HETS)

Laetitia Van der Tang (HETS)

Jonathan Riand (HES-SO Valais)

References

References
1 Deville, J. (2008) « Investir de nouveaux territoires à l’adolescence », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°4 (En ligne) p. 1-13
2 Henry, G. (2008). « Micro lieux » appropriés sur le territoire du cercle familial », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°4, p. 1-24
3 Libois, J. & Loser, F. (2010). Travailler en réseau : Analyse de l’activité en partenariat dans les domaines du social, de la santé et de la petite enfance. Genève : Éditions IES, p. 61

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