A travers cet article, nous allons tenter de comprendre comment les structures socioculturelles ont favorisé l’intégration des jeunes. La notion d’intégration sera analysée à travers les quatre types de liens sociaux selon le sociologue Serge Paugam [1]Intégration et inégalité : deux regards sociologiques à conjuguer in S. Paugam (dir), L’intégration inégale, force, fragilité et rupture des liens sociaux, 1-23.. En effet, nous allons nous intéresser à l’influence que l’action socioculturelle a eu sur les relations familiales et amicales, le parcours scolaire et professionnel ainsi que la participation et l’appartenance citoyenne.
Approche méthodologique : avant, pendant et après
Notre approche consiste à mettre en évidence la situation des jeunes sous trois dimensions temporelles : avant, pendant et après la fréquentation de ces structures socioculturelles afin de mesurer l’influence de celles-ci sur leur intégration.

L’«avant» nous permettra de décrire la situation des jeunes et de ses liens sociaux avant de bénéficier de ces actions. Le «pendant» représentera les dispositifs mis au service des jeunes par les animateurs socioculturels, les Travailleurs·ses Sociaux·les Hors Murs (TSHM), la commune à travers différentes actions de terrain et/ou d’accompagnement. L’«après» nous permettra de mettre en évidence l’influence que ces structures ont eu sur ces jeunes en nous appuyant sur leur situation actuelle.
La parole aux jeunes
Nous avons rencontré et interviewé Joé 30 ans, Robin 25 ans et Alex 21 ans. Ces trois jeunes ont fréquenté et bénéficié de l’accompagnement du Locados, des TSHM ainsi que du service social de la commune de Plan-les-Ouates. Notre objectif est de mettre en avant la parole des jeunes car il y a de nombreux travaux de recherche sur l’action des travailleurs·ses sociaux·les mais il existe peu d’écrits mettant en évidence les ressentis des jeunes bénéficiaires.
- Quelle était leur situation avant de fréquenter les actions socioculturelles ?
- Quel lien ont-ils développé avec les travailleurs sociaux ?
- Comment ces actions ont influencé leur intégration socioprofessionnelle
Autant de questions auxquelles nous avons tenté de trouver une réponse au travers de ce travail de recherche dans la commune de Plan-les-Ouates.

Joé
Nous avons rencontré Joé (prénom d’emprunt) au Locados, mais faute de place pour nous réunir, Joé nous a proposé de nous rendre au centre d’animation culturel du Vélo D. Au cours de l’entretien, il nous explique sa situation familiale et le rôle qu’il occupe au sein de sa famille. Ayant un père absent, il a endossé cette responsabilité pour seconder sa mère et accompagner sa sœur dans son éducation.
« J’ai une petite sœur et un petit frère mais j’ai vécu qu’avec ma sœur et ma mère. Mon frère il vit avec mon père. Je suis l’aîné et j’avais clairement ce rôle de grand frère protecteur et à la maison je m’occupais de tout, j’aidais ma mère pour les tâches ou quand il fallait reprendre des choses avec ma sœur en positif ou négatif. »
Entretien Joé du 23 novembre 2020
« On était vu comme la peste »
Joé nous explique qu’il a vécu une jeunesse assez turbulente. Il se sentait incompris et éprouvait un sentiment de stigmatisation de la part de la population et des travailleurs·ses sociaux·les. Il s’est enfermé dans cette identité et continuait ses méfaits sans trop penser aux conséquences. S’en suit des poursuites, des convocations au bureau du Maire et des difficultés à se réinsérer. « On était vu comme la peste, il y a eu des pétitions contre nous en disant qu’on se mettait en ligne et qu’on rackettait des gens, n’importe quoi !! On trainait simplement mais les gens ne voulaient pas nous laisser tranquille. Donc quand on recevait ce message, on ne se laissait pas faire. »
Après le cycle, Joé entreprend des études à l’école de commerce de Plan-les-Ouates sans parvenir à aller au terme faute d’absentéisme et d’un redoublement. Durant ses années de « galérage » où il cherchait sa voie, sa famille était inquiète pour son avenir. Il s’oriente alors à l’Ecole de Culture Générale (ECG) où il termine ses études. Joé nous explique d’où lui est venue la motivation de reprendre et réussir ses études. « Dans ma famille personne n’a eu de diplôme, moi j’ai qu’un diplôme de l’ECG et je peux bien faire plus. » Durant plusieurs années, Joé vit dans l’incertitude quant à son avenir professionnel. Sa famille s’inquiète pour lui jusqu’au moment où il parvient à trouver sa voie.
« Bizarrement, j’ai adoré ce stage »
A l’âge de 24 ans, Joé avait multiplié les expériences professionnelles sans vraiment trouver sa voie. Il se retrouve dans une période d’incertitude et d’insécurité. En côtoyant les travailleurs·ses sociaux·les, une animatrice au Locados, perçoit ses capacités et lui offre la possibilité de faire ses preuves durant un stage de 2 semaines . Il s’agit pour Joé d’un moment clé qui va le faire basculer dans une carrière sociale. « Je pense que Anandy m’a proposé ce stage parce qu’on avait un bon lien. Je pense qu’elle m’a confié cette responsabilité pour me valoriser et me montrer que j’étais capable et ça m’a fait un tilt. »
Joé nous explique que sa réorientation professionnelle est également liée à sa rencontre avec les TSHM. « En plus moi j’avais beaucoup de poursuites à cette époque, du mal à me réinsérer puis j’ai commencé à côtoyer les TSHM. On n’avait pas l’habitude d’avoir des gens qui mettaient en place des choses pour nous, qui essayaient de nous aider. »

Devant cette marque d’attention , Joé gagne confiance en lui et se sent capable d’aller loin. Il réalise les petits jobs qui lui sont proposés avec sérieux et découvre de lui-même ses capacités. Il trouve, à travers ces rencontres, l’écoute et l’attention dont il avait besoin. La relation de confiance s’est instaurée avec les TSHM et Joé a pu entreprendre des démarches constructives pour son avenir.
« J’ai eu un déclic à l’âge de 24 ans et c’était quelque chose de très positif. Je me suis dit que c’est ça que je voulais faire plus tard alors j’ai repris les études jusqu’à obtenir ma matu et j’ai enchainé les examens pour entrer à la Haute Ecole de Travail Social (HETS). En reprenant mes études, je voulais aussi être un exemple pour ma sœur et mon frère. »
Entretien Joé du 23 novembre 2020
Joé commençait à prendre un mauvais tournant et sa mère s’est fait beaucoup de soucis pour lui. « Ma mère quand elle a su que je fumais elle s’est dit que j’étais toxico. En plus je rentrais le soir des fois un peu cabossé donc elle avait peur. Et ça lui a fait beaucoup de bien quand je lui ai annoncé que j’allais reprendre les études, ça a apaisé beaucoup de tensions. »
Joé nous explique que les travailleurs·ses sociaux·les ont continué à le soutenir pendant sa formation et que cela était important pour lui. « Dès que je suis entré dans le circuit, les TSHM m’ont aidé. C’est comme si j’étais en équilibre sur une barre avec du vide en dessous et eux ils sont là pour pas que je tombe. En fait ils m’ont beaucoup aidé sur le plan financier en me faisant travailler comme mono et sur le plan de l’écriture, les rapports, c’était compliqué pour moi. »
« J’ai eu le Bachelor pour mes 30 ans »
Joé est un travailleur social de 30 ans qui a connu un parcours atypique ponctué d’expériences variées, de remises en question, d’échecs mais aussi de réussites le menant à l’obtention du diplôme de la HETS de Genève. Pendant sa formation, Joé a multiplié les expériences professionnelles avec des populations diverses. Toutes ces expériences lui ont permis de déterminer avec quel public il souhaitait travailler. « Ma population c’est clairement les jeunes, la jeunesse, les ados. » Aujourd’hui, cela fait deux ans et demi que Joé est engagé au Locados en tant qu’animateur auxiliaire en CDD.
Joé a bénéficié de l’accompagnement et du soutien des travailleurs·ses sociaux·les pour endosser ce poste à responsabilité. Malgré ses appréhensions, il a su se révéler et trouver sa voie dans l’accompagnement de la jeunesse de Plan-les-Ouates. « C’est surtout le travail des TSHM qui m’ont tellement aidé à me remettre sur des rails. Ils m’ont permis de monter sur un tremplin pour en arriver à la HETS. Et c’est ce qui m’a donné envie de faire pareil qu’eux, aider la jeunesse avec ma manière de faire, mon expérience. »
Joé a entrepris de longues études qui lui ont demandé de faire des choix « Je voyais plus mes potes mais ça m’a aussi permis de faire un tri dans mes fréquentations. » Joé se rend compte que son cercle d’amis a changé, mais au moment de faire le bilan sur l’influence qu’a eu le socioculturel sur ses relations amicales, il constate avec regret la distance qui s’est installée avec ses anciens amis.

Il reconnait que toutes ces démarches ont eu une influence sur l’homme qu’il est aujourd’hui. Il est devenu quelqu’un de responsable, il est rassuré quant à son avenir et il est actuellement à la recherche d’un CDI pour trouver davantage de stabilité. Ces choix d’orientation ont eu des conséquences sur sa façon d’être et sur la relation qu’il entretenait avec ses pairs.
Joé

Robin
Nous avons rencontré Robin (prénom d’emprunt) un lundi en fin de matinée au café communautaire des Palettes. Robin est un jeune homme âgé de 25 ans et habite à Croix-de-Rozon. Il connaît bien les jeunes de Bardonnex mais également ceux de la commune voisine de Plan-les-Ouates. « A l’époque, il y avait 1000 habitants à Bardonnex dont 500 sur Croix-de-Rozon. Il y a qu’une classe en 1P et une aussi en 2P donc forcément on se connait tous. Quand j’ai fait l’école de commerce c’était à Plan-les-Ouates. J’y étais cinq jours par semaine, donc tu y passes du temps et du coup tu te fais des potes. »
Robin nous parle de la complicité avec son petit frère et de la relation plus distante avec sa grande sœur : « Mon frère et moi on n’a pas beaucoup d’écart et on a toujours été très proche, même les gens qui nous connaissent et qui nous côtoient ne savent pas qu’on est frères, ils se disent qu’on est potes car on ne se ressemble pas. Après ma sœur a beaucoup d’années d’écart avec nous ce qui fait qu’elle a déjà sa famille. Je la vois de temps en temps mais avec elle rien n’a vraiment changé. J’allais la voir si j’avais un problème, elle me donnait des conseils et voilà. »
« En fait, je n’apprécie pas tout ça »
Ses parents l’ont toujours poussé à continuer ses études « Oui j’avais le soutien de mes parents mais pour eux l’apprentissage que je voulais faire c’était de la merde. »
Après le cycle, Robin ne trouve pas de sens à ses études. Il finit par décrocher et connait une période de rupture scolaire : « La scolarité pour moi ça n’a jamais tellement fonctionné mais pas par rapport à mes capacités. Je n’arrive pas à me concentrer, à écouter, si ça ne m’intéresse pas. Quand j’étais à l’école de commerce, je n’appréciais pas, je n’y allais pas, quand j’étais en cours je ne regardais pas et c’est là que je me suis dit que, en fait, je n’apprécie pas tout ça. »
« Au final moi j’ai 25 ans, mon petit frère en a 23, il y’en a qui font des écoles, d’autres sont à l’Uni, certains ont des copines et ces lieux-là permettent de se retrouver un moment les jeudis sans forcément s’appeler. »
Entretien Robin du 27 octobre 2020
Une fois déscolarisé, Robin ne tombe pas dans l’inactivité. Il se mobilise pour occuper son temps libre et maintenir son tissu social : « Du coup ça m’a amené à traîner un peu partout et en même temps je me suis mis à fond dans le sport pendant un petit moment. Je faisais aussi de la musique et je cherchais du taff en même temps. Il y avait aussi l’accueil libre de Bardonnex qui était ouvert tous les mercredis et jeudis donc j’étais là à toutes les ouvertures. »
Les structures d’animation socioculturelle ont été et sont toujours importantes pour Robin. C’était pour lui durant cette période un lieu de rencontre avec ses amis mais aussi une manière de rester en contact avec ces derniers.

« C’est ça qui m’a sauvé je pense. »
Robin nous raconte sa première rencontre avec les travailleurs·ses sociaux·les : « La première fois c’était à l’âge de 13 ans, on jouait au foot, ils sont venus, se sont présentés, nous ont offert du thé froid et sont repartis. A l’âge de 15 ans, ils m’ont proposé de faire des petits jobs. »
Il s’est vite rendu compte que cela lui plaisait. Il avait la confiance de l’équipe d’animation qui lui permettait de faire des tâches en autonomie. « J’étais toujours là, je rigolais, j’avais du plaisir à être dehors avec les autres, on me proposait un truc et je le faisais. Après quand j’avais 15 ans c’était plus un endroit pour gagner de l’argent parce qu’on te propose des petits jobs et après je pouvais m’acheter des nouvelles baskets, aller au ciné avec les potes, au début c’est comme ça mais après tu crées des liens avec les gens qui sont là, tu prends du plaisir à être là et t’es plus trop là pour l’argent, tu fais juste ça parce que t’apprécies. »
Les TSHM ont constaté que Robin prenait plaisir dans les activités de petits jobs. Ils l’ont encouragé dans la direction d’une formation continue (CEFOC) pour devenir moniteur d’encadrement. « Je crois que je suis suivi depuis que j’ai 17 ans par les TSHM Aire. Alors en fait on a tous fait des petits jobs, mais certains ne sont pas forcément fiables. Par exemple tu leurs donnes rendez-vous à 8h du matin et ils ne vont jamais venir. Moi j’ai toujours été sérieux et c’est pour ça qu’on m’a fait passer moniteur. »
Robin nous explique quelques avantages et inconvénients d’avoir changé de statut lorsqu’il exerce son activité professionnelle au contact parfois de ses amis.
« C’est un inconvénient parce que t’es trop proche de certaines personnes. Des fois y’a des mecs qui vont avoir du mal à savoir si là t’es en train de bosser ou pas. Du moment que t’es clair avec eux ça va, genre là je suis là pour taffer et on rigolera après. Je pense que c’est aussi un avantage pour les autres parce qu’ils me voient dans la rue et me demandent si je travaille, ou bien si y’a du boulot ou encore si le bureau est ouvert à telle ou telle heure, comme ça ils peuvent venir chercher les informations assez vite. »
Entretien Robin 27 octobre 2020
Robin est en même temps conscient que ses parents sont soucieux de son avenir professionnel et ils l’expriment chacun à leur manière. « Mes parents savent que je travaille mais pas plus que ça. Mon père pour lui c’est juste fait tes trucs, soit heureux, fait les bien. Ma mère, pour elle, le plus important c’est que j’aie assez d’argent pour avoir un appartement, une voiture, une femme pour construire quelque chose. C’est deux trucs différents. »
« Pourquoi pas tout simplement en faire mon métier »
En devenant majeur, Robin a trouvé sa voie, il est décidé à travailler dans le social et tente de reprendre une formation professionnelle . « Il y a des gens qui m’ont aidé à sortir de l’eau et donc toi aussi tu peux faire en sorte d’aider d’autres jeunes à sortir de l’eau pour qu’ils puissent eux aussi se projeter. J’ai postulé pour faire un apprentissage au sein de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe) en tant qu’Assistant Socio Educatif (ASE), j’ai fait l’entretien mais ça n’a pas donné suite. »
Il a toujours été encouragé par les travailleurs·ses sociaux·les qui ont valorisé les ressources qu’il pouvait mettre à disposition des personnes et de la collectivité. En parallèle à son activité professionnelle il s’est aussi tourné vers le milieu associatif. « J’ai rejoint une association par le biais d’une TSHM. Cette association cherchait un moniteur et ils m’ont dit qu’ils me verraient bien là-bas et ils pensaient que j’aimerais bien et donc j’y suis allé. En ce moment je vais peut-être passer responsable des anniversaires et des semaines de vacances. »
« Je suis aussi en ce moment avec les jeunes du parlement fédéral et on se réunit tous les mois en partenariat avec « S’engage.ch ». Ils ont besoin de jeunes en lien avec le quartier comme des politiques de la commune. Moi je fais partie du groupe des gens de Bardonnex avec les conseillers municipaux. Par exemple, si t’as un projet tu l’envoies et tu le défends et nous on décide s’il sera retenu. Si le projet a lieu sur la commune de PLO, Bardonnex ou Perly, on va faire tout ce qu’on peut pour que ça marche. »
Robin a su faire le chemin nécessaire pour se sortir d’une période compliquée de sa vie avec le soutien des travailleurs·ses sociaux·les qui ont eu un impact certain sur ce processus. Il a aussi pu étendre ses horizons professionnels et rencontrer de nouvelles personnes qui lui ont permis d’avoir un autre regard sur lui-même.
Robin a également développé un engagement citoyen pour sa commune par le biais d’une association. C’est encore une fois la commune qui est venue lui proposer cette collaboration et à travers cette participation il peut accompagner les jeunes de Bardonnex à développer un projet.

« Je pense que personnellement, ça a plutôt influencé ma manière de penser, plus qu’autre chose. Je me suis dit que d’être en lien avec les gens et d’être là pour les gens qui en ont besoin, c’est sympa en fait. »
Entretien Robin du 27 octobre 2020

Alex
Nous avons rencontré Alex (prénom d’emprunt) au pied de l’immeuble des Palettes dans un café communautaire géré par les TSHM de Lancy, un quartier dans lequel il a grandi avant de venir habiter dans la commune de Plan-les-Ouates. Il exprime son appartenance au quartier à travers ce lien d’attachement au territoire qui semble valoriser son identité. Il se décrit comme une figure importante des Palettes et apprécie le fait d’être reconnu de tous.
« Je m’appelle Alex et j’ai 20 ans. Je suis né ici aux Palettes, j’ai grandi au Kosovo durant 4 ans, je suis revenu ici, j’ai fait ma scolarité aux Voirets. En gros ça fait depuis mes 5 ans que je suis ici, c’est pour ça que je connais tout le monde. Même quand j’ai déménagé au Vélodrome je revenais aux Palettes. »
Entretien Alex du 27 octobre 2020

« Ben, j’étais un vrai fouteur de merde ! »
Au sein de sa famille, Alex est l’aîné d’une fratrie de deux frères et une sœur. Dès son plus jeune âge, il occupe le rôle de grand-frère en intervenant dans l’éducation de ses plus jeunes frères et sœurs. « On est trois : deux frères et une petite sœur et moi je suis le plus vieux. J’ai un rôle de grand-frère, je regarde ce qu’ils font. C’est pas chacun fait sa vie ! Y’a pas un jour où j’ai pas un œil sur eux pour qu’ils fassent pas de conneries. Y’en a qui fument un bédo devant leur frère, moi je suis pas comme ça, je bédave pas devant mon petit frère. Je veux être un modèle même s’il sait toutes les conneries que j’ai pu faire. »
Alex a été scolarisé à Plan-les-Ouates où il a connu une enfance assez agitée. Il reconnait qu’il avait des difficultés à accepter l’autorité et pouvait très vite rentrer en conflit avec le corps enseignant. « Je suis allé jusqu’au cycle des Voirets, ensuite en préparatoire de l’ECG et c’est là où j’ai vraiment fait n’importe quoi ! Dans la classe on foutait la merde, mais les profs aussi ne savaient pas enseigner. Un prof me l’a dit droit dans les yeux « je n’ai pas envie de vous apprendre.« Après j’ai fait une année déscolarisée. »
Alex prend conscience de ses difficultés et sollicite directement l’aide des travailleurs·ses sociaux·les pour donner une autre direction à sa vie.
« Ben, j’étais un vrai fouteur de merde ! A un moment donné, j’en avais marre que la Police me courre derrière, j’en avais marre que mon père ait des emmerdes et m’amène aussi à l’hôpital. Je me suis dit, je vais aller voir, on verra bien ce que ça donne. »
Entretien Alex du 27 octobre 2020
« Ce jour-là, j’ai failli la matraquer ! »
Alex vit une période marquée par les incertitudes suite aux échecs scolaires. Il semble désorienté et se décide à rencontrer les travailleurs·ses sociaux·les. Il nous relate ici ses premiers pas avec eux : « Le premier lieu où je suis allé c’était chez les TSHM Aire, j’avais 9 ans. Après je suis allé au Locados. Ensuite, j’ai fait connaissance avec Michael, un travailleur social du service de l’action sociale de la commune, super sympa. Puis les TSHM m’ont recommandé d’aller voir France, la conseillère en orientation, je n’avais pas trop le choix, j’y suis allé. »
Malgré des aprioris négatifs on voit bien que l’expérience s’est révélée positive pour Alex. « Au début, j’avais du mal à accrocher, les rendez-vous dans les bureaux, c’est trop sérieux, ce n’est pas pour moi. Puis après, je dois dire, elle m’a beaucoup aidé, c’est une bonne personne, ça se voit, elle aime ce qu’elle fait. Elle fait ça avec volonté. Elle m’a trouvé des emplois d’insertion avec la commune, c’était super intéressant. »
Alex nous parle de l’importance de la relation de confiance avec le·la travailleur·se social·e. Au-delà de la relation éducative, il exprime le besoin de sentir le côté authentique de la personne. Il nous raconte ainsi une mauvaise expérience avec une TSHM.
« Un jour j’étais en contact avec une TSHM qui devait m’aider. Mais ça s’est trop mal passé, elle m’a grave envoyé chier ! Ce jour-là j’ai failli la matraquer. J’avais 16 ans, j’étais dans ma période où il ne fallait pas me parler aussi cru ! »
La relation avec le·la travailleur·se social·e passe par la confiance, quand elle est rompue, le jeune peut se sentir exclu et la relation est ainsi annihilée.
« Et là aujourd’hui je suis plus en lien avec les TSHM de PLO, ils m’appellent pour travailler quand ils ont besoin de majeurs. En fait ça dépend du feeling, de la confiance qu’on a ou pas avec la personne. »
Entretien Alex du 27 octobre 2020
Alex sait maintenant comment demander de l’aide et vers qui se tourner. Il considère que le soutien qu’il a pu trouver auprès des travailleurs·ses sociaux·les n’est pas à sens unique. « C’est vrai que les TSHM m’ont beaucoup donné. Moi aussi je les ai beaucoup aidés, y’en a qui les ont lâchés. Moi et mon frère on a toujours été là, même quand il fallait aider jusqu’à 3 h du matin sans être payé. »
Alex est devenu majeur, il a besoin de s’assumer financièrement. Il sollicite les TSHM avec qui il a construit une relation de confiance pour réaliser occasionnellement des petits jobs. « Maintenant je fais pas mal de petits jobs avec la commune de Plan -les-Ouates, les TSHM de PLO ou ceux de Lancy. Même si avec le confinement, c’est chaud, y’a moins d’occasion de travailler, c’est galère ! »

« Soit dans le social, soit militaire, soit keuf, ce sera l’un des trois. »
A la suite de toutes ses expériences liées à l’animation socioculturelle, Alex a pris confiance en ses capacités et il s’est décidé à créer sa propre association. Le point de départ de cette association semble étroitement lié à son parcours dans ces structures d’animation et aux travailleurs·ses sociaux·les qu’il a pu rencontrer, car comme il le dit : « J’ai appris à faire les démarches et j’ai eu la volonté de monter une association. Avec Yann un jour on s’est dit, y’en a marre, ils nous ont assez aidés, viens on fait un truc à nous. On leur montre qu’on peut faire aussi un bon truc.»
Avec le soutien d’un travailleur social de la commune il a développé son projet jusqu’à atteindre son objectif. Alex reconnait que cette association lui permet de donner à son tour aux jeunes qui en ont besoin. A l’image de la notion de “don et contre-don » Alex se sent redevable de tout ce qu’il a pu recevoir de la part des travailleurs·ses sociaux·les dans la période de vulnérabilité qu’il a connu. Aujourd’hui qu’il a pris conscience de ses capacités il exprime la volonté de rendre à son tour à ceux qui en ont besoin. « J’ai envie d’aider les jeunes qui rappent et qui n’ont pas les moyens de se produire sur scène. Si ce n’est pas quelqu’un du quartier qui le fait, qui d’autre peut le faire. »
Concernant la relation avec ses parents, on peut dire que celle-ci a été influencée positivement par la rencontre avec les travailleurs·ses sociaux·les. Ce rapprochement a favorisé l’apaisement des tensions familiales puisque Alex a retrouvé un rythme de vie en se rendant régulièrement sur les lieux d’activités encadrés par les TSHM. « Ben ça a évité plusieurs fois que je me fasse casser les dents ! Je faisais pas mal de conneries, et le fait d’être en lien avec les travailleurs sociaux, ça a rassuré mes darons. Ils savent maintenant que je fais quelque chose de bien, mais ils ne savent pas quoi. Ça a calmé des tensions, ils voient que je me lève le matin, que je fais quelque chose de légal avec les TSHM. »
La relation avec ses pairs a évolué, il a dû faire des choix pour avancer et construire son avenir de façon plus responsable. « Après, j’ai fait le tri dans mes amis. Au début je n’écoutais pas les TSHM qui me disaient de faire attention. Je n’écoutais pas, parce que j’étais jeune et con. Puis à un moment je me suis dit ils avaient raison. J’ai fait le tri moi-même. » On peut cependant se poser légitimement la question du regard des autres et de quelle manière ces petits jobs, ces formations ou stages ont pu renforcer positivement son image auprès de ses pairs.
Alex a pris l’initiative de se réorienter en reprenant les études. Il réalise aujourd’hui la difficulté d’assumer les missions professionnelles qu’il honore la journée, avec ses moments de loisirs liés à sa vie de jeune adulte, tout en réalisant ses études au cours du soir.
« Je suis à deux doigts d’arrêter l’ECG du soir. C’est galère mentalement parce que toute la journée t’as fait des trucs et le soir de 18 à 22h faut aller en cours. Et puis j’ai une prof j’ai envie de lui jeter une chaise dans la gueule tellement elle manque de respect aux gens. Mais je me retiens, mon dossier commence à devenir parfait, je n’ai pas envie de tout gâcher. »
Entretien Alex du 27 octobre 2020
Aujourd’hui, Alex réfléchit à la possibilité d’effectuer un apprentissage pour l’obtention d’un diplôme dans le domaine du social et se laisse la possibilité d’explorer d’autres métiers. « En fait je voulais être pris à l’école d’ASE mais le covid est arrivé, je n’ai pas été pris. J’ai quand même envie de travailler dans le social, mais si ça ne marche pas je vais faire une carrière dans l’armée. Soit dans le social, soit militaire, soit keuf, ce sera l’un des trois. »
Conclusion
A la fin de ce travail de recherche, nous pouvons constater que Joé, Robin et Alex étaient tous en situation de rupture scolaire et professionnelle avant de fréquenter les structures d’animation socioculturelle. Ces différents lieux d’accueil en libre adhésion ont permis d’instaurer une relation consentie entre les jeunes et les travailleurs·ses sociaux·les. Ils·elles ont fait preuve d’écoute, de disponibilité et de non-jugement favorisant ainsi un lien d’affinité et de confiance avec les jeunes. Ces liens créés ont facilité un soutien ainsi qu’un accompagnement individuel et collectif dans la réinsertion socioprofessionnelle des jeunes. Les stages ainsi que les petits jobs ont été des opportunités d’expérimentation qui ont permis aux jeunes de développer leurs ressources et compétences, afin de les responsabiliser et les valoriser. Cela a contribué à leur donner confiance en leurs capacités et augmenter leur estime de soi.
De façon générale, les structures socioculturelles ont eu une influence positive sur ces trois jeunes. Nous pouvons constater qu’elles ont contribué à leur intégration socioprofessionnelle. En effet, les trois jeunes ont tous repris une formation avec des perspectives professionnelles. D’ailleurs, depuis notre entretien, Joé a été engagé au Locados comme animateur socioculturel. (À confirmer)
Alex et Robin se sont engagés dans le milieu associatif. Ils participent activement à la vie de leurs communes pour un meilleur vivre-ensemble. Toutes ces démarches leurs permettent de voir l’avenir avec sérénité tout en s’épanouissant dans les différentes activités qu’ils entreprennent. Cela permet également de rassurer des parents inquiets pour l’avenir de leur enfant et apaise des tensions familiales dans certains cas. Concernant les relations amicales, certains ont élargi leur cercle d’amis tandis que d’autres ont décidé de faire un “tri” et de ne plus fréquenter des mauvaises influences. L’intégration de ces jeunes à travers les différents liens sociaux leurs ont offert une protection et une reconnaissance qui vont favoriser leur appartenance sociale.



Réalisation
Gaëtan Foglia – Michael Chantemesse – Bryan Mathey – Djibi Diallo
HETS Genève
References
↑1 | Intégration et inégalité : deux regards sociologiques à conjuguer in S. Paugam (dir), L’intégration inégale, force, fragilité et rupture des liens sociaux, 1-23. |
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